Reportage : Des bienfaits de la permaculture au bureau

Per­ma­cul­ture au bureau, Veìr Mag­a­zine à décryp­té le phénomène dans le Nord de la France, chez Pocheco, et à Mar­seille, auprès de Comme Avant.

par | 6 avril 2023

Per­ma­cul­ture au bureau : Pro­pos recueil­lis par Farah Ker­am


“La vie au bureau après la crise san­i­taire sera-t-elle plus verte ?” Si les con­tours du “monde d’après” demeurent flous, il appa­raît cer­tain – à mesure que l’on fait défil­er les arti­cles parus sur le sujet – qu’il est syn­onyme d’une mise au vert. Un retour aux sources néces­saire pour une généra­tion tris­te­ment qual­i­fiée de “indoor” [généra­tion intérieure, N.D.L.R.]. Et pour cause : en France, nous pas­sons en moyenne 80 % de notre temps en lieux clos, notam­ment dans le cadre de notre activ­ité pro­fes­sion­nelle. Mais respirons un bon coup ; le vent sem­ble tourn­er grâce à l’engagement d’hommes et de femmes qui met­tent au cœur de leur cul­ture d’entreprise les principes de la per­ma­cul­ture. Décryptage du phénomène dans le Nord de la France, chez Pocheco, et à Mar­seille, auprès de Comme Avant.

Entre productivité et bien-être 

C’est un îlot de ver­dure où chantent l’eau d’une mare et quelques cen­taines d’oiseaux.

Direc­tion Pocheco et ses 30 000 m2 de ter­rain à For­est-sur-Mar­que, aux portes de Lille. Comme il est plaisant de rédi­ger ces pre­mières lignes à l’ombre du grand mag­no­lia qui sur­plombe le jardin des équipes, chef-lieu des déje­uners entre col­lègues et paus­es en tous gen­res ! Rien ne sem­ble pou­voir trou­bler le calme envi­ron­nant.

La sym­phonie des oiseaux, qu’ils soient de pas­sage ou qu’ils y aient élu domi­cile, con­fère au lieu le statut de Refuge LPO et se mêle au bruit loin­tain des machines. Ne vous méprenez pas : nous sommes bien sur un lieu de tra­vail, plus pré­cisé­ment une usine de fab­ri­ca­tion d’en­veloppes en papi­er.

Pan­neaux solaires, 2 500 m2 de toi­tures végé­tal­isées (qui ne requièrent pas d’arrosage), 1 000 m2 de potager en per­ma­cul­ture, une sta­tion d’épuration et une mare, sanc­tu­aire de bio­di­ver­sité : la liste est loin d’être exhaus­tive.

Au fil des années, Pocheco est dev­enue une référence des entre­pris­es engagées pour le vivant. Der­rière l’expertise, on trou­ve une manière d’en­tre­pren­dre arti­sanale : les idées sont pen­sées en interne, enrichies par des lec­tures et un goût pronon­cé pour tester de nou­velles choses. Un lab­o­ra­toire fan­tas­tique et un “cor­ri­dor de bio­di­ver­sité”, comme se plaît à le nom­mer Kévin Fran­co, à la tête du bureau d’études Ouvert (suc­cur­sale créée par l’entreprise qui vise à accom­pa­g­n­er des firmes et col­lec­tiv­ités de l’Hexagone dans leur tran­si­tion écologique).

Après un incendie sur­venu en 2011 qui a détru­it 30 % du site, la recon­struc­tion des espaces per­dus a per­mis de végé­talis­er 1 000 m2 sup­plé­men­taires. Ain­si naquit le verg­er où les salariés vien­nent main­tenant s’aérer et cueil­lir le fruit de leur tra­vail. Une trans­for­ma­tion du site désirée par son prési­dent, Emmanuel Druon, qui, en 25 ans, a fait la part belle aux espaces végé­tal­isés : 85 % aujourd’hui con­tre 4 % au com­mence­ment.

On a fait sauter le béton partout où l’on pou­vait”, explique Julien Verny, salarié d’Ouvert.

Antoine Boc­quet est per­ma­c­ul­teur et prési­dent de Canopée Refor­esta­tion, une asso­ci­a­tion soutenue par Pocheco, qui replante 10 000 arbres par an dans cette région, la moins boisée de France. Il nous par­le du quo­ti­di­en de la vie en usine agré­men­tée, ici, d’une saveur par­ti­c­ulière :

Quand les camion­neurs vien­nent chercher des car­gaisons et qu’ils aperçoivent pour la pre­mière fois le lieu depuis la rue, ils pensent s’être trompés… Ça les change des zones indus­trielles ! On les invite à se servir en fram­bois­es. Je pense que cela a un vrai impact posi­tif sur leur journée de tra­vail.” 

Permaculture au bureau

Suggérer sans forcer : remettre du vivant au quotidien

Nil Par­ra est directeur asso­cié chez Comme Avant, une entre­prise qui conçoit et fab­rique des pro­duits sains et naturels. Il a ini­tié il y a un an un pro­jet qui lui tenait à cœur : pos­séder son pro­pre espace vert, inscrivant ain­si sa démarche engagée per­son­nelle dans un pro­jet à plus grande échelle.

Immersion chez Comme Avant

Aujourd’hui, Comme Avant jouit de 5 hectares qui vont accueil­lir le futur local de l’entreprise dont 1,3 hectare de ter­res, par­mi lesquels 500 m2 de potager en per­ma­cul­ture label­lisé AB. 36 planch­es de 16 x 80 mètres cha­cune, où poussent hari­cots, aubergines, courges, con­com­bres, cour­gettes, mel­ons, tomates, basil­ic, per­sil, mis à dis­po­si­tion dans les bureaux à chaque récolte.

En somme, “ce qu’il faut pour pou­voir mon­tr­er à l’équipe que tout cela fonc­tionne, sans devoir aller vers des cul­tures trop com­pliquées”, explique-t-il.

Et si la plu­part des salariés ont fait voir leur ent­hou­si­asme face à cette démarche, Nil con­fie l’avoir ini­tiée avant tout par con­vic­tion per­son­nelle et non dans l’attente d’une val­i­da­tion de la part des équipes.

Je n’aime pas point­er du doigt, moralis­er. Dire à un salarié que sa salade en plas­tique achetée chez Mono­prix est pour­rie, c’est con­tre-pro­duc­tif. Cha­cun est libre, je mon­tre juste des choses : si une ini­tia­tive plaît chez Comme Avant, on la con­tin­ue, si une autre tombe à l’eau car elle ne retient pas l’attention des équipes, ce n’est pas grave.”

Essay­er de bien faire sans impos­er quoi que ce soit : voici le mantra qui résonne depuis Les Pennes-Mirabeau, où la firme a élu domi­cile.

Retour chez Pocheco

L’heure est venue de s’at­tel­er au chantier par­tic­i­patif du midi con­duit par l’équipe de per­ma­c­ul­teurs, Antoine, Gré­go­ry et Pierre. Au menu du jour, le désherbage d’une par­celle pol­luée aux métaux lourds que l’équipe tente de ren­dre saine grâce au principe de l’agromine et à l’utilisation de Noc­caea caerulescens, une plante herbacée. Grâce à ce procédé, il est pos­si­ble d’extraire des élé­ments métalliques con­tenus dans les sols grâce à des plantes hyper­ac­cu­mu­la­tri­ces, puis de les récupér­er et de les trans­former pour un usage indus­triel. Une dizaine d’employés, sta­giaires et gens de pas­sage – comme, par exem­ple, une jour­nal­iste qui pas­sait par là – s’at­tel­lent à la tâche.

Mais, si toutes ces ini­tia­tives mis­es en place par Pocheco sem­blent s’offrir aux employés, la peur d’être jugé ou de délaiss­er son poste se fait-elle sen­tir ?

Il n’y a pas de réelle oblig­a­tion de met­tre les mains dans la terre. Quand je le sens, que j’en ai envie, j’y vais. Et en cas de coup de mou, une sieste à l’ex­térieur ou une cueil­lette dans le verg­er et ça repart !”.

Pas vrai­ment, ont-ils répon­du unanime­ment. Yas­mi­na Bous­sel­laoui, chargée de l’entretien et de l’accueil, a con­fié avoir con­science de sa qual­ité de vie au tra­vail :

À l’inverse, l’implication des insti­ga­teurs de telles démarch­es peut par­fois se heurter à des salariés moins récep­tifs que d’autres et créer un décalage. Mais, aux yeux du cofon­da­teur de Comme Avant, avoir des employés très dif­férents est le lot de toute entre­prise.

“Comme partout, des gens vien­nent unique­ment pour manger et d’autres vien­nent car ils sont en sym­biose avec l’éthique de l’entreprise. Je n’en veux ni aux uns, ni aux autres.”

Nos péré­gri­na­tions se pour­suiv­ent en com­pag­nie d’Antoine et de Gré­go­ry, au potager de Pocheco. Instal­lées dans une réserve naturelle, les cul­tures poussent sur un sol limono-argileux avec une bonne réten­tion mais légère­ment sat­uré en eau, car nous sommes ici sur un ancien marais. L’après-midi bien entamée, les deux hommes récoltent les légumes avec lesquels les employés par­tiront en week-end.

Chaque fin de semaine, des légumes de sai­son cer­ti­fiés AB (comme chez Comme Avant) sont ven­dus à des prix com­péti­tifs.

Tout ce qui pousse autour de l’usine est mis à dis­po­si­tion gra­tu­ite­ment pour les équipes et ce qu’on récolte ici, dans le champ voisin, est des­tiné à la vente”, sourit Antoine. 

Permaculture au bureau

Mise en place : casse-tête ou partie de plaisir ? 

Quelles sont les couliss­es d’une entre­prise qui décide de diver­si­fi­er ses activ­ités et de met­tre en place un pro­jet per­ma­cole à cette échelle ?

Con­vic­tion, patience et recrute­ment sem­blent être les maîtres-mots.

Dans les deux cas, l’idée découle d’une volon­té de “faire plus”, d’être un acteur total de la tran­si­tion écologique en pro­posant un pro­jet fédéra­teur de lien entre les salariés et la direc­tion. Une volon­té forte, qui a été pen­sée, pesée et mise en place sur un temps long et non dans la pré­cip­i­ta­tion. Dessin­er le con­tour du pro­jet avec les équipes en interne est une chose, mais faire appel unique­ment à eux, sans ouvrir de nou­veaux postes, appa­raît comme peu réal­is­able.

Jar­dinier ama­teur, Nil a rapi­de­ment con­staté la néces­sité d’embauch­er une maraîchère afin de super­vis­er le pro­jet et d’assurer une présence chaque jour au jardin. Que ce soit chez Comme Avant ou chez Pocheco, la créa­tion d’un espace en per­ma­cul­ture a sig­nifié par­tir de zéro pour les plan­ta­tions. Pen­dant un an, Nil et sa maraîchère ont pré­paré la terre et les qua­tre jardins, sol­lic­i­tant l’aide des équipes lorsque l’activité potagère se fai­sait plus dense.

À la suite du récent départ de sa per­ma­c­ul­trice, Nil a repris le flam­beau avec une cheffe de pro­jet et est en recherche active. Chez Pocheco, l’idée du potager est née de la diver­si­fi­ca­tion des activ­ités de l’entreprise et a per­mis de créer de l’emploi : recruter un per­ma­c­ul­teur en chef, à temps plein, a été une pri­or­ité. Un investisse­ment de taille donc, qui touche à l’équilibre économique de l’entreprise.

Qu’on se le dise, inté­gr­er la per­ma­cul­ture dans sa cul­ture d’entreprise est rarement syn­onyme de prof­it ou de rentabil­ité.

Il n’y a pas de réel but financier dans notre pro­jet de per­ma­cul­ture”, tranche Nil, avant de se remé­mor­er les prémices du pro­jet : “Si j’avais eu de quel­con­ques investis­seurs dans la boîte, ils auraient dit non à cette idée de potager en per­ma­cul­ture, surtout au regard du chiffre d’affaires que l’on fai­sait.”

Trou­ver son mod­èle économique en ouvrant la vente aux par­ti­c­uliers, pro­pos­er des paniers de légumes aux salariés sont autant de façons de com­pos­er afin de trou­ver un équili­bre pécu­ni­aire.

Un pro­jet per­ma­cole ne peut vivre que dif­fi­cile­ment sans activ­ités annex­es com­mer­ciales qui per­me­t­tent de ren­tr­er dans ses frais — Comme Avant dis­pose d’un fonds de dota­tion dédié à préser­va­tion de la bio­di­ver­sité en France, quand Pocheco mon­naye son exper­tise en pro­posant des ren­con­tres et for­ma­tions péd­a­gogiques sur la tran­si­tion écologique.

Pour qu’un tel pro­jet en entre­prise per­dure, l’implication se doit d’être quo­ti­di­enne et la démarche authen­tique. Une obser­va­tion assez logique lorsque l’on sait que la per­ma­cul­ture ne se lim­ite pas au tra­vail de la terre, mais incar­ne une véri­ta­ble philoso­phie de vie.

Ain­si, si cul­tiv­er un potager par­ticipe à la bonne osmose des équipes, une entre­prise en tran­si­tion per­ma­cole doit égale­ment faire évoluer ses pra­tiques de man­age­ment : flex­i­bil­ité dans l’organisation des espaces de tra­vail, mobil­ité flu­id­i­fiée pour les employés, néces­sité du feed­back dans les équipes…

Et, pour revenir au cœur de notre sujet, accès à une ali­men­ta­tion de qual­ité aux antipodes de la can­tine d’entreprise clas­sique. Sur cette ques­tion, une fois de plus, Comme Avant et Pocheco s’inscrivent dans une éthique sim­i­laire : la pre­mière inau­gur­era bien­tôt son restau­rant d’entreprise, ali­men­té par sa pro­pre pro­duc­tion de légumes, quand la sec­onde rénove une belle bâtisse au fond du jardin des équipes, qui comptera des loge­ments pour l’accueil de réfugiés, ain­si qu’un restau­rant des­tiné aux employés et ouvert aux curieux venus d’ailleurs.

Permaculture au bureau

Arti­cle issu du Numéro 7 — Automne 2021 — “Agir”

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