Rencontre avec Eve Teyssier, étudiante en biologie végétale à Toulouse et membre de l’équipe Eklo, Juin 2021.
Par Julie Laussat.
Et si jardiner dans l’espace était possible ? Le projet Eklosion est porté par une équipe d’étudiants pluridisciplinaire baptisée “Eklo”. Il consiste en la création d’une capsule renfermant plusieurs graines, que Thomas Pesquet aura pour mission de faire germer en août à bord de l’ISS.
La mission de Thomas Pesquet
L’astronaute français Thomas Pesquet est parti à bord de la Station spatiale internationale (ISS) depuis le 23 avril 2021 pour une durée de 6 mois. Il sera le premier Français à prendre le commandement de la station lors de la deuxième partie de sa mission. À bord de l’ISS, l’astronaute va mener une douzaine d’expériences, dont le projet Eklo. Pour en apprendre davantage sur la mission : missionalpha.cnes.fr
Pouvez-vous nous présenter le projet Eklosion et ses origines ?
Eklo est un projet né du concours Génération ISS lancé par le CNES (Centre national d’études spatiales) et le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation en 2019. L’objectif du concours était de proposer trois projets pour la mission de Thomas Pesquet lors de son séjour à bord de l’ISS.
Notre projet a été sélectionné et a fusionné avec une idée similaire de l’École de Design de Nantes pour devenir le projet Eklosion. Nous l’avons ensuite retravaillé, avec l’aide du CNES, pour l’adapter aux nombreuses contraintes d’une mission spatiale. C’est un projet pluridisciplinaire : au sein de l’équipe Eklo, on trouve des étudiants en design, en informatique, en communication, en biologie végétale et en électrotechnique.
Quel est l’objectif du projet Eklosion ?
Le projet Eklosion n’a pas d’objectif scientifique, nous n’avons pas d’attentes sur les résultats scientifiques de l’expérience. L’idée est de connecter Thomas Pesquet avec la Terre pendant son voyage et de lui apporter un bout du monde végétal. Il s’agit d’une expérience qui cible l’humain et les émotions : comment aider les astronautes qui partent longtemps à surmonter la distance avec la Terre et leurs proches ?
Nos résultats ne seront pas axés sur la réussite scientifique de la croissance de la plante mais plutôt sur ce que Thomas Pesquet a ressenti lors de l’expérience. On espère surtout répondre à la question suivante : “Est-ce que jardiner dans l’espace apporte du bien-être aux astronautes en mission ?”.
Pourquoi avoir choisi de faire pousser un œillet d’Inde ?
Nous avons fait beaucoup de tests avec différentes variétés de graines à fleurs. Les contraintes de la capsule qui accueille les graines et de la station spatiale ont orienté nos choix. Par exemple, la plante devait mesurer 20 cm maximum. En raison de la taille de la capsule et supporter la température de 25 °C à bord de l’ISS. Nous avons ensuite fait plusieurs tests de germination, de pousse et de croissance de la fleur. À la suite desquels l’œillet d’Inde double nain de la société Caillard a été retenu. La capsule renferme cinq graines pour maximiser les chances de réussite. On a désormais une idée du temps de germination (vingt-quatre heures après hydratation du substrat), de la pousse des cotylédons (deux ou trois jours) et de la floraison (après trente ou quarante jours) sur Terre, afin de pouvoir comparer avec l’expérience réalisée dans l’espace.
Vous avez créé une capsule spécifique, Eklo, pour combiner les besoins de la fleur et les contraintes spatiales. En quoi est-ce un défi de faire pousser une fleur dans l’espace ?
La principale contrainte est l’absence de gravité ! Il est impossible de faire germer une graine dans l’espace comme on le ferait chez soi. La terre ne pourrait rester dans son pot et l’eau s’échapperait de l’arrosoir. Il faut ensuite s’assurer de la sécurité de l’expérience pour les astronautes. Notamment pour éviter toute dispersion de l’eau, une ressource rare et qui pourrait endommager le matériel. Concernant la possibilité de germination des graines en apesanteur, il y a déjà des expériences qui ont été menées, on sait que le challenge principal est de maintenir les racines. Sans gravité, elles ne sont pas orientées vers le sol et peuvent donc rapidement pousser de manière anarchique.
En quoi la capsule est-elle adaptée à surmonter ce défi ?
La capsule permet déjà d’enfermer le substrat et l’eau pour contrecarrer l’absence de gravité. C’est un système fermé et étanche, tout en laissant circuler l’air, il n’y a donc aucun risque de perte d’eau. C’est un système de valve connectée à une poche d’eau de l’ISS qui se refermera ensuite sans retour possible des gouttes d’eau. L’alternance jour/nuit est aussi recréée grâce à une lumière artificielle, réglée sur les horaires de l’ISS.
Pour orienter les racines, les graines sont enfermées dans le substrat avec seulement deux voies possibles pour pousser : descendre ou monter. Comme la lumière artificielle de la capsule va attirer la pousse vers le haut, à l’image du soleil sur Terre, les racines ne pourront logiquement s’orienter que vers le bas.
La capsule a‑t-elle dû passer des tests particuliers pour être acceptée à bord de l’ISS ?
Oui, de nombreux tests de sécurité et beaucoup de documents à remplir ! Nous avons aussi été accompagnés par le CNES pour que la capsule réussisse tous les tests exigés par la Nasa. Nous avons par exemple opté pour un substrat composé de fibre de coco, de vermiculite (pour l’aérer) et de stockosorb (pour la rétention de l’eau), qui pouvaient être stériles et dont nous connaissons la composition exacte, à l’inverse du terreau par exemple.
Il y a ensuite eu de nombreux tests réalisés par le CNES pour vérifier, par exemple, l’étanchéité de la capsule, sa résistance au décollage, l’absence de risque d’explosion…
En pratique, la capsule quittera la Terre le 1er août pour rejoindre Thomas Pesquet à bord de l’ISS. Que devra-t-il faire ensuite ?
Il devra faire vivre l’expérience ! En pratique, il n’a pas grand-chose à faire. Après l’arrivée de la capsule, il devra la brancher et la recouvrir d’une couverture pour éviter aux astronautes d’être gênés par la lumière. Il devra aussi réhydrater le substrat avec de l’eau (l’équivalent d’1 litre) pour lancer la germination. Grâce aux capacités de rétention d’eau, il n’aura pas besoin d’arroser de nouveau. Ensuite, il n’a plus qu’à profiter de l’expérience !
Eklosion est justement conçue pour lui faire vivre une expérience sensorielle et émotionnelle en le reliant à la Terre, racontez-nous !
L’expérience en elle-même est dépourvue des sensations liées aux odeurs puisque la capsule est hermétique. Pour contrebalancer, nous avons ajouté des cartons encapsulés avec des odeurs liées au monde végétal comme la menthe, le pin, l’anis ou encore la rose. Et, petit bonus que Thomas Pesquet ignore, chaque carton renferme un mot de la part de ses proches. Chaque semaine, il devra alors actionner le bas de la capsule pour découvrir l’odeur et le mot !
Comment allez-vous suivre l’expérience réalisée dans l’espace ?
Nous aurons des retours réguliers de la part du CNES qui récupérera les photos réalisées par Thomas Pesquet chaque semaine. Et nous attendons avec impatience son retour sur Terre pour discuter avec lui à propos de l’expérience.
Nous espérons bien sûr que la graine germe, pousse et fleurisse. Mais surtout que l’expérience fasse plaisir à Thomas et le rapproche de la Terre et de ses proches pendant sa mission !
CNES — Interview de Sylvie Zouiten responsable de l’expérience Eklosion pour la mission Alpha — Ingénieure dans le domaine des vols habités.
“ Le concours Génération ISS est une première et nous sommes ravis de cette expérience. C’est une belle opportunité pour attirer les jeunes vers le domaine spatial et c’est une expérience unique qu’ils ont vécue. Le projet Eklosion était ambitieux, l’équipe a largement relevé le défi ! Nous avons été heureux de leur apporter toute l’aide du CNES, aussi bien sur les aspects techniques qu’administratifs du projet. C’est une expérience menée par des étudiants. Elle est soumise aux mêmes contraintes que toutes les expériences accueillies par la mission Alpha, notamment les contraintes de sécurité.
Nous avons eu beaucoup de plaisir à travailler avec eux. Les étudiants étaient dynamiques et volontaires malgré toutes les difficultés rencontrées.
Concernant le projet en lui-même, il n’y a aucun doute qu’il plaira à Thomas ! Lors de son retour de la mission Proxima, il avait évoqué la modification de ses sensations face aux odeurs après tant d’absence. Eklo sera un parfait compagnon pendant 8 semaines pour qu’il garde un lien avec la Terre.”
Pour en savoir plus :
@eklo.space sur Instagram
Pour suivre Thomas Pesquet @thom_astro
Article issu du Numéro 6 – Été 2021 “Explorer”