Rencontre avec Marion Sarlé de la ferme en hydroponie Les Sourciers.
Par Julie Laussat.
Chez les Sourciers, la serre de culture n’est pas tout à fait conventionnelle. Aucun risque de se salir avec la terre… tous les légumes ont les pieds dans l’eau ! Ils pratiquent en effet le maraîchage en hydroponie, technique qui consiste à remplacer la terre par l’eau.
L’hydroponie demeure assez confidentielle en France. Alors qu’on raconte qu’elle était présente dans les mystérieux jardins suspendus de Babylone, nous avons encore beaucoup de préjugés sur cette culture. En France, où l’on cultive la terre de génération en génération, l’hydroponie a longtemps eu l’image d’une culture peu écologique, gourmande en eau et réservée à la culture de plantes interdites… Pourtant, chez Marion et Nicolas, c’est un petit monde merveilleux.
On découvre :
- une technique de culture pointue et respectueuse de l’environnement
- des légumes savoureux et colorés qui ravissent les chefs de la région
- et, surtout, Marion et Nicolas, amoureux de leur microferme aquatique
On vous embarque dans un monde où les plantes se prélassent tranquillement, les racines dans l’eau…
Comment êtes-vous arrivés à l’hydroponie ?
Complètement par hasard et pour le plaisir ! À l’époque, nous habitions à Buenos Aires. Il était impossible de faire pousser quoi que ce soit sur notre balcon. Nous avons découvert là-bas la culture en hydroponie. Nous avons été surpris par le goût incroyable des légumes et des fruits. Notre balcon est alors devenu, pendant deux ans, un vrai laboratoire pour nos essais d’hydroponie, avec des échecs et des réussites. C’était excitant d’expérimenter de nouvelles choses très techniques ! L’hydroponie permet d’avoir accès aux racines et d’apprendre ainsi beaucoup de choses sur les besoins des plantes. Petit à petit, d’une simple curiosité est né un intérêt personnel. Nous étions émerveillés de faire pousser notre nourriture, alors pourquoi ne pas tenter une reconversion !
Notre retour en France a cependant calmé nos ardeurs. L’hydroponie était encore peu connue ici et l’agriculture hors-sol avait une très mauvaise image. Nous nous sommes donné six mois pour lancer notre projet. Puis voir si nous pouvions en vivre, sinon : retour à nos métiers d’origine !
Comment est né le projet de la ferme Les Sourciers ?
À l’origine, je voulais plutôt faire de la pédagogie et de la formation, afin de faire connaître l’hydroponie en milieu urbain. Cependant, il a rapidement été clair qu’il fallait d’abord rentabiliser notre projet, le mettre en pratique et apprendre les différentes techniques. Nous voulions installer notre microferme en ville mais c’était sans compter sur les difficultés à trouver un espace à louer. Nous avons alors atterri dans le Gers par hasard. Avec l’opportunité d’y louer une serre, mais toujours avec l’idée de revenir en ville ensuite… Depuis, nous sommes tellement heureux ici que nous n’arrivons plus à repartir !
Comment était vu votre projet dans une région habituée à l’agriculture traditionnelle ?
Au départ, les agriculteurs nous prenaient un peu pour des illuminés. Nous étions vus comme des citadins voulant jouer aux agriculteurs et beaucoup pensaient que nous ne tiendrions pas la cadence ! Petit à petit, nous avons rencontré plusieurs d’entre eux et nous leur avons montré que nous travaillions aussi dur qu’eux. Beaucoup ont suivi avec attention l’avancée de notre projet. Aujourd’hui, tout se passe très bien !
Peux-tu nous expliquer en quoi consiste l’hydroponie ?
L’hydroponie repose sur un principe de base : l’alimentation de la plante se fait par l’eau. Il y a trois manières différentes de faire de l’hydroponie, en fonction du type d’apports en nutriments que l’on doit ajouter. Dans tous les cas, cela suppose d’apporter des nutriments minéraux dans l’eau, mais dans des proportions différentes selon les techniques.
La première est ce qu’on appelle communément l’hydroponie minérale. Il s’agit d’ajouter uniquement des minéraux dans l’eau, en fonction des besoins propres à chaque variété. La deuxième technique repose,en complément de l’apport minéral, sur les nutriments organiques grâce au travail des bactéries : c’est la bioponie. Enfin, la troisième méthode, plus surprenante et plus complexe, fait intervenir des poissons qui apportent les nutriments organiques nécessaires dans l’eau. Pour cette technique d’aquaponie, l’apport en nutriments minéraux est beaucoup plus faible.
Quelles variétés cultivez-vous à la ferme ?
Tout est possible mais la technique est particulièrement adaptée aux plantes à croissance rapide et aux légumes feuilles. Nous cultivons notamment des aromates, des tomates, des fleurs comestibles et des micro-pousses. L’avantage de l’hydroponie est l’absence d’une grande partie des insectes ravageurs et de contact des fruits avec le sol. Nos pousses ont ainsi de très bonnes qualités visuelles et nutritives, nos chefs gastronomiques sont ravis ! Nous avons aussi une partie de la serre dédiée à la culture en terre. Notamment pour notre propre autonomie alimentaire, mais aussi pour cultiver les plantes mères de certaines herbes aromatiques. Nos systèmes hydroponiques sont fermés l’hiver. Il faut alors recommencer à zéro, chaque année, mais cela nous permet de conserver de précieux moments de repos.
L’hydroponie a parfois mauvaise presse, on l’assimile souvent à la culture hors-sol conventionnelle… Peux-tu nous en dire plus ?
Il y a autant de bonnes et de mauvaises manières de faire de l’hydroponie que de cultiver la terre. Une exploitation d’hydroponie en système fermé consomme beaucoup moins d’eau et de solutions nutritives qu’en agriculture classique. Les apports en nutriments sont effectués à la pipette. Nous sommes très loin des tonnes de nutriments utilisées dans d’autres modèles. Notre serre consomme environ deux cents mètres cubes d’eau à l’année, soit moins que notre consommation personnelle à la maison !
Il y a aussi des controverses liées à l’utilisation des nutriments minéraux. S’ils ne posent pas de soucis pour notre santé, il y a bien des interrogations quant à leurs origines et à leur mode d’extraction. Nous avons beaucoup de difficultés à avoir des données précises. Certains sont créés en laboratoire, d’autres ont des procédés d’extraction peu écologiques…. C’est une problématique sur laquelle nous espérons qu’il y aura plus de transparence à l’avenir.
Peut-on se lancer dans l’hydroponie sur notre balcon ?
Oui, bien sûr ! C’est chouette à expérimenter et à bricoler. Il est par exemple assez simple de construire un petit système de radeau flottant avec du matériel récupéré. Dans une caisse en plastique opaque, il suffit de déposer une plaque de polystyrène et d’y faire des trous pour y installer des petits godets. Il faut prévoir un substrat remplaçant la terre, comme des billes d’argile, pour tenir la plante en place dans le godet. Pour oxygéner l’eau, il est possible d’installer un bulleur d’aquarium ou seulement de tapoter l’eau avec la main de temps en temps. Pour la nutrition, il vaut mieux se fournir dans un growshop. Afin de trouver une solution de nutrition minérale prête à l’emploi. Côté plantes à tester, je conseille souvent de commencer avec les salades ou avec le basilic, surnommé “la bombe de l’hydroponie” tant il est savoureux avec cette technique !
Attention ! Si vous voulez faire repousser vos légumes dans l’eau à la maison, l’eau du robinet ne contient pas assez de nutriments pour permettre de faire une vraie culture en hydroponie. Le légume continuera à pousser uniquement avec les nutriments qui lui reste. Il est plus efficace de les planter en terre ou d’opter pour des salades à couper.
Comment vois-tu l’hydroponie dans vingt ans ?
J’espère qu’elle ne servira pas d’excuse pour polluer les sols. En aucun cas, cette technique ne doit venir remplacer la culture de la terre. Cependant, c’est une des solutions aux enjeux climatiques car elle permettra de maintenir des cultures dans certaines régions où l’eau manque et où les sols sont trop pollués. Il est important de développer l’hydroponie en France ou en Europe pour en faire un terrain d’expérimentation et faciliter ensuite sa promotion dans les pays qui en ont besoin.
Infos : Les Sourciers
Article issu du Numéro 2 – Été 2020 – “Observer”