Entretien : les maraîchers du Potager des mille fleurs

Ren­con­tre avec les maraîch­ers du Potager aux mille fleurs de l’Île de Ré pour con­naître leur plan­ning en hiv­er, une sai­son moins con­nue du grand pub­lic.

par | 25 janvier 2023

Ren­con­tre avec Gilles Boulay et Muriel Meier, maraîch­ers en agri­cul­ture biologique sur l’île de Ré.

Par Laeti­tia Roux.


Leur école n’est pas celle de l’agriculture, mais celle de la nature. C’est en s’intéressant aux plantes sauvages, puis aux principes d’autosuffisance et de per­ma­cul­ture que Gilles et Muriel en sont venus à l’idée de faire pouss­er et de ven­dre des légumes. Depuis près d’un an, ils cul­tivent leur par­celle sableuse de l’île de Ré, en plaçant au cœur de leur démarche la sci­ence des asso­ci­a­tions, le tra­vail manuel exclusif et un min­i­mal­isme assumé dans le choix des tech­niques et des pro­duits util­isés. L’objectif : créer un équili­bre naturel qui per­me­t­tra à leur potager de s’épanouir sur le long terme.

Leurs étals reflè­tent cette philoso­phie : la palette de var­iétés pro­posée est guidée par la sai­son et les spé­ci­ficités du sol, et les légumes fraîche­ment cueil­lis se mêlent aux fleurs comestibles dans un tableau chamar­ré. Alors que les tem­péra­tures descen­dent et que les jours rac­cour­cis­sent, nous leur avons demandé com­ment leur exploita­tion est organ­isée et com­ment ils abor­dent la sai­son hiver­nale.

Com­ment est né le Potager des mille fleurs ? 

Nous avons vécu vingt ans dans le Lot, en util­isant toutes les ressources renou­ve­lables et naturelles de notre envi­ron­nement. Nous con­nais­sions la faune et la flo­re sauvages, les champignons et les baies. Notre mai­son, que nous avions ren­ovée avec des matéri­aux écologiques, fonc­tion­nait unique­ment à l’eau de pluie. Notre jardin potager nous per­me­t­tait d’être auto­suff­isants une grande par­tie de l’année. 

Par la suite, Muriel a suivi une for­ma­tion sur les plantes aro­ma­tiques et médic­i­nales et Gilles a passé un BP Respon­s­able d’ex­ploita­tion agri­cole. Nous nous sommes instal­lés offi­cielle­ment en tant que maraîch­ers, sur l’île de Ré, en jan­vi­er 2020. 

Nous avons une devise : “Green Love, sème la vie, pas le prof­it !” Cette activ­ité ne nous per­met pas de dégager énor­mé­ment de prof­it : nous essayons d’atteindre un équili­bre que nous voulons juste pour nous et pour tous.

Com­ment est struc­turé le potager ?

Nous exploitons pour l’instant une par­celle de six mille mètres car­rés, sur un ter­rain de deux hectares et demi. Sur cette par­celle, nous avons dix jardins. Chaque jardin est com­posé de huit planch­es de cul­ture, longues de trente mètres, elles-mêmes divisées en trois ou cinq rangs (trois pour les cul­tures qui doivent être aérées, cinq pour les autres). Un rang cor­re­spond tout sim­ple­ment à une ligne d’arrosage. Nous arrosons les plan­ta­tions à l’aide de tuyaux en goutte-à-goutte. Sur chaque planche, on asso­cie deux ou trois légumes qui aiment être ensem­ble, mais aus­si des fleurs com­pagnes comme les bleuets, les soucis, les tagètes ou les nigelles de Damas… Dans chaque jardin, il y a égale­ment une planche entière con­sacrée aux fleurs, plantes aro­ma­tiques et médic­i­nales et aux futurs arbres fruitiers.

Les planch­es de cul­ture sont stan­dard­is­ées, afin de pou­voir chaque année piv­ot­er d’un jardin à un autre. Nous ne replan­tons jamais deux fois la même chose au même endroit ! Nous pra­tiquons une rota­tion des cul­tures sur cinq ans. 

Ce sché­ma s’inspire à la fois du Bon jar­dinier (almanach hor­ti­cole de 1860), de la méth­ode Cole­man, de la méth­ode Forti­er et des principes de la per­ma­cul­ture.

Com­ment vous organ­isez-vous pour pro­duire toute l’année ?

Nous avons d’abord fait une sélec­tion de ce que nous voulions planter. Nous cul­tivons une terre sableuse, donc nous ne pou­vons pas faire pouss­er tous les légumes. Cette année, nous n’avons pas plan­té de choux, car ils sont très gour­mands et notre sol est pau­vre ! 

Ensuite, nous étab­lis­sons un rétro­plan­ning. Nous esti­mons la quan­tité que nous souhaitons récolter pour chaque légume (en fonc­tion des marchés où nous nous ren­dons), à quel moment de l’année et com­bi­en de temps il met pour pouss­er, sachant que l’on choisit tou­jours des var­iétés pré­co­ces, de sai­son et tar­dives. On mul­ti­plie par 1,3 pour pren­dre en compte les pertes éventuelles : cela nous donne un cal­en­dri­er avec les quan­tités à semer chaque mois

Le pre­mier jardin débute en mars, avec les légumes feuilles et les légumes racines : salades, radis, carottes, bet­ter­aves. En avril, nous instal­lons un deux­ième jardin avec les courges puis, un autre, avec de nou­veaux légumes feuilles et racines. Et c’est comme cela tout au long de l’année, jusqu’à l’automne : chaque mois, nous met­tons en place un nou­veau jardin. Quand un jardin est ter­miné, on sème de l’engrais vert, on le laisse respir­er, puis on remet de la matière organique, on sème de nou­veau, et c’est repar­ti pour l’année suiv­ante !

Com­ment se passe l’hiver quand on est maraîch­ers ?

Tout d’abord, il y a plusieurs var­iétés que nous con­tin­uons à semer en hiv­er : les navets et les carottes, jusqu’en novem­bre, ou les pommes de terre nou­velles (c’est-à-dire celles qui sor­tiront au print­emps), à par­tir de jan­vi­er, par exem­ple. Les semis de tomate démar­rent aus­si dès la mi-jan­vi­er, sous serre. Et, bien sûr, nous semons des salades tous les mois, sans pause.

De plus, nous prof­i­tons de l’hiver pour pré­par­er nos extraits fer­men­tés (ndlr : aus­si appelés “purins”). Nous avons trois mous­que­taires, qui nous ser­vent à prévenir et à com­bat­tre qua­si­ment toutes les mal­adies : le purin d’ortie pour apporter de l’azote et aider la plante à se dévelop­per plus vite, le purin de fougère qui est un anti­fongique et un répul­sif pour les limaces et escar­gots et le purin de prêle qui con­tient de la sil­ice, pour ren­forcer la cel­lule végé­tale. Nous réal­isons tous ces purins nous-mêmes : ils sont prêts en quinze jours de fer­men­ta­tion env­i­ron, puis ils se con­ser­vent pen­dant plusieurs mois !

Com­ment pré­parez-vous le sol ?

Nous sommes par­tis d’un sol très pau­vre en nutri­ments. Nous devons donc, pen­dant les trois pre­mières années, apporter énor­mé­ment de matière organique : cinq à dix cen­timètres sur chaque cul­ture. Nous con­tin­uerons bien sûr les années suiv­antes, mais en moin­dre quan­tité. Nous util­isons du com­post mûr, du fumi­er de cheval mûr, du pail­lage de drêche ain­si que des feuilles et tontes fraîch­es. Qua­si­ment tout est récupéré locale­ment : auprès des mairies, d’associations, d’artisans (la drêche, par exem­ple, provient d’un brasseur de bière de l’île de Ré) ou même de par­ti­c­uliers !

De plus, nous lais­sons tou­jours les fins de cul­ture en place, sur les bor­ds des planch­es : cela per­met de pailler, d’apporter de la matière organique et même de faire bar­rière con­tre le vent.

En automne/hiver, nous met­tons égale­ment en place des engrais verts : un mélange de vesce, luzerne, phacélie et trèfle. Lorsqu’il sera temps de replanter, nous couper­ons et coucherons les plantes sur le sol.

Com­ment réalisez-vous vos semis ?

Au début, nous avons acheté la plu­part des graines mais, main­tenant, nous récupérons les celles de toutes nos cul­tures, sauf les courges (à cause du risque d’hybridation). L’idéal, c’est de réu­tilis­er nos semences, car ce sont les mieux adap­tées à notre envi­ron­nement ! 

Nous nous procurons quelques plants pour le démar­rage de la sai­son, afin de nous assur­er les pre­mières récoltes. En mars, nous achetons ain­si des pieds de tomate, qui ont été élevés sous serre et ne sup­port­eront pas d’être en extérieur. Ils sont beau­coup plus frag­iles que ceux que nous pro­duisons nous-mêmes, cela se voit tout de suite…

@Veìr Mag­a­zine

Com­ment lut­tez-vous con­tre les ravageurs ?

La seule façon de réus­sir dans l’agriculture biologique, c’est l’observation et la préven­tion. Il faut réa­gir très vite : on peut per­dre une cul­ture en une semaine. Tous les matins, nous pas­sons entre les cul­tures et nous les obser­vons à la loupe ! Pour savoir quels sont les insectes présents, nous util­isons des plaques engluées qui cap­turent les insectes (en petite quan­tité) et nous per­me­t­tent d’identifier les ravageurs et de déter­min­er si leurs pré­da­teurs sont déjà là pour les chas­s­er ! Si besoin, nous pra­tiquons la PBI (Pro­tec­tion biologique inté­grée), qui con­siste à intro­duire des insectes pré­da­teurs (par exem­ple, le syr­phe ou la chrysope pour les pucerons) en début d’invasion. Le potager est un tout, où l’équilibre créé au fil du temps se révèle beau­coup plus effi­cace que des actions ponctuelles et dis­pro­por­tion­nées. Nous util­isons aus­si des bâton­nets de con­fu­sion sex­uelle, une nou­velle méth­ode qui s’avère utile pour lut­ter con­tre cer­tains insectes (notam­ment la Tuta abso­lu­ta de la tomate) : ces derniers dif­fusent la phéromone que déga­gent nor­male­ment les femelles, semant ain­si la con­fu­sion chez les mâles, qui  ne trou­vent plus leur parte­naire.

Quels con­seils don­ner­iez-vous à des appren­tis jar­diniers ?

Com­mencer par une petite sur­face : un car­ré, un pot, un bac. Penser aux fleurs pour attir­er les insectes pollinisa­teurs. Et acheter les pre­miers plants pour s’assurer un résul­tat ! Ne rien avoir, c’est quand même un peu triste.

Infos : Le Potager des milles fleurs

Arti­cle issu du Numéro 4 – Hiv­er 2020 – “Imag­in­er”

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