Rencontre avec Gilles Boulay et Muriel Meier, maraîchers en agriculture biologique sur l’île de Ré.
Par Laetitia Roux.
Leur école n’est pas celle de l’agriculture, mais celle de la nature. C’est en s’intéressant aux plantes sauvages, puis aux principes d’autosuffisance et de permaculture que Gilles et Muriel en sont venus à l’idée de faire pousser et de vendre des légumes. Depuis près d’un an, ils cultivent leur parcelle sableuse de l’île de Ré, en plaçant au cœur de leur démarche la science des associations, le travail manuel exclusif et un minimalisme assumé dans le choix des techniques et des produits utilisés. L’objectif : créer un équilibre naturel qui permettra à leur potager de s’épanouir sur le long terme.
Leurs étals reflètent cette philosophie : la palette de variétés proposée est guidée par la saison et les spécificités du sol, et les légumes fraîchement cueillis se mêlent aux fleurs comestibles dans un tableau chamarré. Alors que les températures descendent et que les jours raccourcissent, nous leur avons demandé comment leur exploitation est organisée et comment ils abordent la saison hivernale.
Comment est né le Potager des mille fleurs ?
Nous avons vécu vingt ans dans le Lot, en utilisant toutes les ressources renouvelables et naturelles de notre environnement. Nous connaissions la faune et la flore sauvages, les champignons et les baies. Notre maison, que nous avions renovée avec des matériaux écologiques, fonctionnait uniquement à l’eau de pluie. Notre jardin potager nous permettait d’être autosuffisants une grande partie de l’année.
Par la suite, Muriel a suivi une formation sur les plantes aromatiques et médicinales et Gilles a passé un BP Responsable d’exploitation agricole. Nous nous sommes installés officiellement en tant que maraîchers, sur l’île de Ré, en janvier 2020.
Nous avons une devise : “Green Love, sème la vie, pas le profit !” Cette activité ne nous permet pas de dégager énormément de profit : nous essayons d’atteindre un équilibre que nous voulons juste pour nous et pour tous.
Comment est structuré le potager ?
Nous exploitons pour l’instant une parcelle de six mille mètres carrés, sur un terrain de deux hectares et demi. Sur cette parcelle, nous avons dix jardins. Chaque jardin est composé de huit planches de culture, longues de trente mètres, elles-mêmes divisées en trois ou cinq rangs (trois pour les cultures qui doivent être aérées, cinq pour les autres). Un rang correspond tout simplement à une ligne d’arrosage. Nous arrosons les plantations à l’aide de tuyaux en goutte-à-goutte. Sur chaque planche, on associe deux ou trois légumes qui aiment être ensemble, mais aussi des fleurs compagnes comme les bleuets, les soucis, les tagètes ou les nigelles de Damas… Dans chaque jardin, il y a également une planche entière consacrée aux fleurs, plantes aromatiques et médicinales et aux futurs arbres fruitiers.
Les planches de culture sont standardisées, afin de pouvoir chaque année pivoter d’un jardin à un autre. Nous ne replantons jamais deux fois la même chose au même endroit ! Nous pratiquons une rotation des cultures sur cinq ans.
Ce schéma s’inspire à la fois du Bon jardinier (almanach horticole de 1860), de la méthode Coleman, de la méthode Fortier et des principes de la permaculture.
Comment vous organisez-vous pour produire toute l’année ?
Nous avons d’abord fait une sélection de ce que nous voulions planter. Nous cultivons une terre sableuse, donc nous ne pouvons pas faire pousser tous les légumes. Cette année, nous n’avons pas planté de choux, car ils sont très gourmands et notre sol est pauvre !
Ensuite, nous établissons un rétroplanning. Nous estimons la quantité que nous souhaitons récolter pour chaque légume (en fonction des marchés où nous nous rendons), à quel moment de l’année et combien de temps il met pour pousser, sachant que l’on choisit toujours des variétés précoces, de saison et tardives. On multiplie par 1,3 pour prendre en compte les pertes éventuelles : cela nous donne un calendrier avec les quantités à semer chaque mois.
Le premier jardin débute en mars, avec les légumes feuilles et les légumes racines : salades, radis, carottes, betteraves. En avril, nous installons un deuxième jardin avec les courges puis, un autre, avec de nouveaux légumes feuilles et racines. Et c’est comme cela tout au long de l’année, jusqu’à l’automne : chaque mois, nous mettons en place un nouveau jardin. Quand un jardin est terminé, on sème de l’engrais vert, on le laisse respirer, puis on remet de la matière organique, on sème de nouveau, et c’est reparti pour l’année suivante !
Comment se passe l’hiver quand on est maraîchers ?
Tout d’abord, il y a plusieurs variétés que nous continuons à semer en hiver : les navets et les carottes, jusqu’en novembre, ou les pommes de terre nouvelles (c’est-à-dire celles qui sortiront au printemps), à partir de janvier, par exemple. Les semis de tomate démarrent aussi dès la mi-janvier, sous serre. Et, bien sûr, nous semons des salades tous les mois, sans pause.
De plus, nous profitons de l’hiver pour préparer nos extraits fermentés (ndlr : aussi appelés “purins”). Nous avons trois mousquetaires, qui nous servent à prévenir et à combattre quasiment toutes les maladies : le purin d’ortie pour apporter de l’azote et aider la plante à se développer plus vite, le purin de fougère qui est un antifongique et un répulsif pour les limaces et escargots et le purin de prêle qui contient de la silice, pour renforcer la cellule végétale. Nous réalisons tous ces purins nous-mêmes : ils sont prêts en quinze jours de fermentation environ, puis ils se conservent pendant plusieurs mois !
Comment préparez-vous le sol ?
Nous sommes partis d’un sol très pauvre en nutriments. Nous devons donc, pendant les trois premières années, apporter énormément de matière organique : cinq à dix centimètres sur chaque culture. Nous continuerons bien sûr les années suivantes, mais en moindre quantité. Nous utilisons du compost mûr, du fumier de cheval mûr, du paillage de drêche ainsi que des feuilles et tontes fraîches. Quasiment tout est récupéré localement : auprès des mairies, d’associations, d’artisans (la drêche, par exemple, provient d’un brasseur de bière de l’île de Ré) ou même de particuliers !
De plus, nous laissons toujours les fins de culture en place, sur les bords des planches : cela permet de pailler, d’apporter de la matière organique et même de faire barrière contre le vent.
En automne/hiver, nous mettons également en place des engrais verts : un mélange de vesce, luzerne, phacélie et trèfle. Lorsqu’il sera temps de replanter, nous couperons et coucherons les plantes sur le sol.
Comment réalisez-vous vos semis ?
Au début, nous avons acheté la plupart des graines mais, maintenant, nous récupérons les celles de toutes nos cultures, sauf les courges (à cause du risque d’hybridation). L’idéal, c’est de réutiliser nos semences, car ce sont les mieux adaptées à notre environnement !
Nous nous procurons quelques plants pour le démarrage de la saison, afin de nous assurer les premières récoltes. En mars, nous achetons ainsi des pieds de tomate, qui ont été élevés sous serre et ne supporteront pas d’être en extérieur. Ils sont beaucoup plus fragiles que ceux que nous produisons nous-mêmes, cela se voit tout de suite…
Comment luttez-vous contre les ravageurs ?
La seule façon de réussir dans l’agriculture biologique, c’est l’observation et la prévention. Il faut réagir très vite : on peut perdre une culture en une semaine. Tous les matins, nous passons entre les cultures et nous les observons à la loupe ! Pour savoir quels sont les insectes présents, nous utilisons des plaques engluées qui capturent les insectes (en petite quantité) et nous permettent d’identifier les ravageurs et de déterminer si leurs prédateurs sont déjà là pour les chasser ! Si besoin, nous pratiquons la PBI (Protection biologique intégrée), qui consiste à introduire des insectes prédateurs (par exemple, le syrphe ou la chrysope pour les pucerons) en début d’invasion. Le potager est un tout, où l’équilibre créé au fil du temps se révèle beaucoup plus efficace que des actions ponctuelles et disproportionnées. Nous utilisons aussi des bâtonnets de confusion sexuelle, une nouvelle méthode qui s’avère utile pour lutter contre certains insectes (notamment la Tuta absoluta de la tomate) : ces derniers diffusent la phéromone que dégagent normalement les femelles, semant ainsi la confusion chez les mâles, qui ne trouvent plus leur partenaire.
Quels conseils donneriez-vous à des apprentis jardiniers ?
Commencer par une petite surface : un carré, un pot, un bac. Penser aux fleurs pour attirer les insectes pollinisateurs. Et acheter les premiers plants pour s’assurer un résultat ! Ne rien avoir, c’est quand même un peu triste.
Infos : Le Potager des milles fleurs
Article issu du Numéro 4 – Hiver 2020 – “Imaginer”