plantes vertes et écologie : Propos recueillis par Alicia Muñoz
Comme tout ce que nous consommons, nos plantes d’intérieur ont un impact environnemental qui ne doit pas être négligé. En cause : leur origine, leur mode de culture et le gaspillage lié à cette industrie. Comment agir pour des plantes plus vertes ?
Contrairement à une idée reçue largement répandue, acheter une plante d’intérieur en pot est loin d’être un acte écologique. En matière de plantes ornementales, la France est une championne de l’importation. On estime que seuls 10 % des plantes qui se retrouvent dans les grandes enseignes ont poussé en France. Plus de 75 % ont transité par les Pays-Bas. Ce pays est la véritable “plaque tournante” de ce commerce en Europe. Sa forte tradition horticole et le soutien de son État à cette industrie (notamment via les subventions accordées aux serres). Cette problématique d’importation massive concerne aussi bien les plantes d’intérieur que les fleurs coupées, les bulbes et les végétaux d’extérieur.
Plantes vertes et écologie : Une industrie qui pollue
Pour bien comprendre l’impact de cette industrie, il faut d’abord se rappeler que la très grande majorité des plantes vendues pour décorer nos intérieurs sont des plantes d’origine tropicale. Elles poussent naturellement dans des zones comme l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud, l’Asie du Sud-Est ou encore Madagascar. C’est le cas, par exemple, des très populaires monsteras, pileas et calatheas.
Décryptons alors le bilan carbone d’une plante tropicale. Du lieu de production aux points de vente (souvent en grande surface), de très nombreux kilomètres sont parcourus. Les transports se font quasi systématiquement dans des équipements réfrigérés du fait de la fragilité des plantes. Par ailleurs, le climat et la terre de la Hollande, principal exportateur et importateur européen, ne sont pas les plus adaptés à ces cultures. Chauffage des serres et utilisation de lampes pour permettre la germination toute l’année. Consommation d’engrais et de pesticides pour assurer la croissance : l’énergie grise, c’est-à-dire l’énergie totale mobilisée pour produire la plante, est très importante.
“Le transport des plants et graines d’origine vers les Pays-Bas par voie aérienne ou maritime, puis l’exportation des plants cultivés dans toute l’Europe est responsable d’émissions de gaz à effet de serre. À cela s’ajoute également la pollution générée par les pots de fleurs, généralement fabriqués en plastique, et souvent délaissés après l’achat, lorsqu’on les remplace par des pots plus esthétiques”, détaille ainsi l’agence Edeni, collectif qui forme les particuliers et les entreprises à un mode de vie plus écologique.
Aucune étude d’impact complète n’a été réalisée au plan global. Cela rend quasiment impossible de mesurer avec fiabilité le volume de gaz à effet de serre (GES) émis par cette filière spécifique de l’industrie horticole. Nul doute qu’il est loin d’être négligeable.
Un commerce opaque et peu réglementé
Le consommateur est d’autant plus dans le flou que l’étiquetage du pays d’origine n’est pas obligatoire en Europe concernant le commerce de plantes. Certaines grandes enseignes, comme Botanic, tentent de limiter ce flou en garantissant que la majorité de leurs achats provient de filières respectueuses de l’environnement en Europe. Mais qu’en est-il du voyage qui a précédé leur arrivée chez le pépiniériste européen ? Nos recherches ont montré qu’aucun rapport ne recense à ce jour avec précision l’origine des semences et des plants ou boutures. Un manque de traçabilité qui est problématique face aux attentes de consommateurs de plus en plus sensibles au sujet.
De même, les conditions de production des plantes restent elles aussi opaques : de nombreux végétaux proviennent du Kenya ou d’Amérique du Sud, sans aucune garantie sur les conditions de travail des ouvriers. Très peu d’études ou de rapports d’associations ont été faits. La traçabilité des produits que l’on peut acheter en grande surface est quasiment impossible. Comme pour beaucoup de domaines, plus il y a d’intermédiaires, plus il est difficile pour le consommateur de s’y retrouver…
Quelques bonnes pratiques : plantes vertes et écologie
Heureusement, il est en partie possible de s’assurer d’un mode de production de la plante respectueux de l’environnement en privilégiant certains labels. En plus du label AB européen, plus répandu pour les semences et plants potagers, plusieurs labels ou certifications françaises ont fait leur apparition au rayon plantes vertes, notamment le label “Plante Bleue”.
Ce dernier concerne les horticulteurs et pépiniéristes français engagés dans une démarche de production respectueuse de l’environnement. En Hollande, le label MPS fixe des exigences concernant la consommation de moyens de protection des cultures, d’engrais et d’énergie ainsi que l’utilisation responsable de l’eau et des déchets. En attribuant une lettre de A à C, ce label démontre sa volonté de mesurer précisément le degré d’engagement des entreprises (agriculteurs, pépiniéristes, grossistes…) engagées dans la démarche. Le label “Fleurs de France”, développé en 2014 par le ministère de l’Agriculture, certifie, quant à lui, que la fleur, la plante, l’arbuste, l’arbre ou le bulbe achetés ont été produits sur le territoire national.
De plus, certaines enseignes s’engagent pour réduire le volume de déchets, généré notamment par les pots en plastique. C’est le cas de Botanic, qui a créé la première filière nationale de recyclage et de valorisation des pots en plastique pour les particuliers, avec un nouveau service inédit de collecte des pots horticoles disponible dans soixante-dix magasins. Tous les pots rapportés sont transformés en granulés qui servent à la fabrication d’une nouvelle gamme de pots 100 % recyclés. Les pots biodégradables (en amidon de maïs, fibres de coco ou de riz) ont également fait leur apparition pour certaines plantes, comme chez Vive le Végétal ou So Ethic, même s’ils demeurent rares pour les plantes d’intérieur.
Le problème du gaspillage des plantes vertes
Un autre impact non négligeable de notre consommation de plantes est le gaspillage. Durant le premier confinement, la plupart des grandes enseignes pénalisées par leur fermeture avaient été dans l’obligation de jeter leurs stocks. Mais ce gâchis est loin de se limiter à ces circonstances exceptionnelles. Difficile de vendre du muguet en dehors du mois de mai, des roses de Noël une fois les fêtes passées, ou même une plante qui serait un peu flétrie ou en fin de floraison.
Des grandes enseignes tentent de pallier ce problème en adhérant à des initiatives comme celles de l’application “Too Good To Go”, qui permet de revendre à moindre prix les invendus ou les invendables. Petit à petit, les habitudes des mastodontes de la plante changent.
Mais le gaspillage émane également de nos propres habitudes de consommation. Vous hébergez peut-être déjà chez vous un graphique Calathea lancifolia, un délicat Pilea peperomioides ou encore l’expansif faux philodendron (Monstera deliciosa). Plus ou moins consciemment, nos choix sont alimentés par les phénomènes de mode véhiculés par les réseaux sociaux. Les publications sur ces médias propagent souvent l’idée que la plante verte est avant tout un élément décoratif.
L’e‑boutique : Jungle Humaine
Pour Julia Kadri, créatrice de l’e‑boutique Jungle Humaine, le problème vient du fait que le consommateur cherche des plantes “parfaites”, comme sur une belle photo Instagram.
“Dès que les feuilles jaunissent un peu ou que la plante perd de sa superbe ce n’est plus “déco” et on s’en débarrasse !” Pour éviter ce travers, la jeune entrepreneuse envoie systématiquement un “Guide du jardinage intuitif” afin d’accompagner au mieux le consommateur dans le soin de ses plantes.
“On préfère souvent acheter des plantes tropicales alors qu’en regardant autour de nous, en creusant un peu la question, on pourrait trouver des plantes moins tendance mais plus résistantes et tout aussi jolies”, suggère de son côté Audrey Martineau, gérante de la jardinerie indépendante Maÿ, à Bayonne. C’est le cas, par exemple, des bégonias, des lierres et de certaines fougères, dont on retrouve de nombreuses variétés sous nos latitudes.
“Tout le paradoxe est que nous souhaitons acheter une plante endémique d’un pays tropical avec un moindre impact… Or, ces plantes sont généralement cultivées sous serres chauffées en Europe, boostées par les engrais ou directement importées de l’hémisphère sud, où elles sont très souvent cultivées en monoculture”, souligne quant à lui Hadrien Favrole, gérant de la jardinerie marseillaise Akou.
Résultat : les plantes ne résistent pas toujours à ce long périple. Et qui n’a jamais fait cet amer constat ? Quelques semaines après l’achat, la plante se met à perdre de sa superbe ou se retrouve assaillie de parasites. Dans le pire des cas, elle meurt malgré un rempotage et de bons soins, sans que l’on puisse identifier la cause.
Une situation malheureuse qui peut toutefois nous amener à remettre en question nos choix de consommation.
L’essor des micro-jardineries
Faut-il nécessairement passer par la grande distribution pour se procurer une plante verte ? Fort heureusement, la réponse est non. Opter pour les “micro-jardineries” ou “jardineries éthiques” peut être une partie de la solution. Ces boutiques sont en plein essor, notamment depuis la crise sanitaire, qui a suscité des envies de reconversion. En principe, ces magasins font davantage d’efforts pour se fournir auprès de pépiniéristes et horticulteurs locaux ou français pour tout ou partie de leurs stocks, ce qui permet de minimiser l’impact environnemental tout en réduisant le nombre d’intermédiaires. Pour vous en assurer, n’hésitez pas à poser la question lors de votre visite en boutique.
“L’idée d’une micro-jardinerie est de réduire au maximum l’impact environnemental de nos plantes en sélectionnant principalement des plants issus de producteurs de proximité”, explique Audrey Martineau, gérante de Maÿ. Afin d’inciter sa clientèle à mieux comprendre les plantes, elle cherche également à transmettre une vision holistique du jardinage. “J’aimerais constituer une grainothèque avec des semences récoltées au Pays basque, mais aussi vendre des pots, du compost, des substrats et mélanges de terreaux confectionnés par des acteurs locaux”, détaille-t-elle.
Hadrien Favrole et sa compagne Anaïs Kauffer privilégient eux aussi la vente de plantes, pots et substrats produits dans leur région d’implantation, Provence-Alpes-Côte d’Azur.
“Dès le départ, nous avions la volonté de travailler en direct avec les producteurs de plantes. Nous avons écumé les salons et foires aux plantes, ce qui nous a permis d’identifier des pépiniéristes par types de plantes (cactus, plantes tropicales, méditerranéennes, etc.).”
Le couple se fixe alors comme critère de pouvoir s’y rendre en moins de deux heures en voiture depuis Marseille. Un critère difficile à respecter dans le cadre d’un commerce aussi globalisé où la plupart des boutures et plants transitent par la Hollande.
Et le commerce de plantes en ligne ?
Julia Kadri déplore également cette difficulté. Elle a décidé de lancer son commerce en ligne de plantes vertes suite à la crise sanitaire. Consciente de l’impact négatif du commerce en ligne sur l’environnement lié notamment au transport, aux emballages non réutilisables et à la pollution numérique, elle était soucieuse de proposer une offre différente. Pour “compenser” ces impacts, Julia Kadri opte pour un système de pré-commande et limite ses stocks au maximum. Elle s’engage également à travers le choix des plantes qui composent ses “jungles d’intérieur”.
“L’idée de Jungle Humaine est de regrouper trois plantes d’intérieur selon leurs besoins en luminosité et dont on a tenté de minimiser l’impact”, résume Julia Kadri.
Si l’offre disponible sur le site est composée de plantes cultivées aux Pays-Bas, l’entrepreneuse s’assure de leur certification MPS‑A par leur producteur, ce qui équivaut à la plus haute certification environnementale dans le secteur horticole. Elle envisage à terme le lancement d’une offre 100 % française.
“Ce n’est pas impossible de ne s’approvisionner qu’en France mais beaucoup plus compliqué et coûteux pour les plantes tropicales. De manière générale, un grand flou existe dans la profession quant à la provenance et au mode de culture de ces plantes”, estime la gérante de l’e‑boutique.
Actuellement, elle travaille avec deux fournisseurs français pratiquant l’agriculture bio et raisonnée. “Nous avons une offre de plantes d’extérieur, les “Bienfaitrices”, qui sont cultivées dans la Drôme dans des serres non chauffées et donc en accord avec les saisons”, précise-t-elle.
En Europe, l’hiver reste un frein à la culture de plantes tropicales. Toutefois, certains pépiniéristes français s’y mettent à la belle saison, cultivant alocasias, bananiers ou encore aloe vera… Le signe qu’une relocalisation de la filière est peut-être possible.
Marques et points de vente cités dans l’article :
Maÿ jardinerie : 24, rue Sainte Catherine, Bayonne
Akou : 56, rue de Bruys, Marseille 5
Société protectrice des végétaux : 14 rue Crépet, Lyon 7
Alma Grown in Town : 17 rue Keller, Paris 11
Jungle Humaine : www.junglehumaine.com
Botanic : www.botanic.com
Vive le végétal : www.vivelevegetal.com So Ethic : www.lepoethic.com
Article issu du Numéro 8 — Hiver 2021 — “Créer”