Par Alicia Muñoz.
Pourquoi les fleurs sauvages sont en danger ? Si l’on s’émeut régulièrement de l’extinction de nombreuses espèces animales, peu d’entre nous savent que nos fleurs sauvages courent le même risque. Source d’émerveillement du promeneur, elles sont pourtant menacées, sous la pression des activités humaines. Quelles conséquences sur nos écosystèmes et comment agir à notre échelle ?
15 % : c’est la part d’espèces issues de la flore vasculaire sur le territoire français identifiées comme “menacées” ou “quasi menacées” par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Ce qui correspond à 742 espèces des 4 982 recensées sur le territoire métropolitain. Récemment mis à jour, ces chiffres issus de la liste rouge publiée par l’UICN[1] sont assez inquiétants. « Pour la première fois, le risque de disparition de l’ensemble de la flore vasculaire de France métropolitaine a été évalué », se félicite l’organisation internationale. Face à de telles données, nous sommes toutefois pris de vertiges. Les fleurs, maillon essentiel du règne végétal, participent pleinement à nos écosystèmes, en plus d’être irrésistiblement belles. Dès lors, pourquoi un tel désintérêt pour les fleurs sauvages ? Pourquoi s’obstiner à importer un bouquet de fleurs coupées des Pays-Bas plutôt que de faire pousser des belles des prés sur nos balcons ou dans nos plates-bandes ?
Belles… et essentielles !
Concrètement, que se passerait-il si nos fleurs vasculaires venaient à disparaître ? « La flore est le premier maillon de la chaîne alimentaire. Les insectes vont manger la plante ou polliniser ses fleurs et, en même temps, celles des champs voisins. À leur tour, ces insectes alimentent les oiseaux ou les insectes auxiliaires, dont la présence permet de lutter efficacement contre les ravageurs des cultures… » explique Jocelyne Cambecèdes, coordinatrice du pôle Conservation et Restauration écologique au Conservatoire botanique national des Pyrénées et de Midi-Pyrénées. On comprend aisément l’intérêt de maintenir les fleurs sauvages dans nos campagnes. Aussi dans nos villes, où elles contribuent au maintien des écosystèmes et à la qualité de nos récoltes potagères.
Zones humides en danger
Certains écosystèmes sont-ils plus en péril que d’autres ? D’après le communiqué de l’UICN, « le poids des activités humaines sur la flore est bien plus important avec des territoires de plaine. » En France, parmi les milieux les plus touchés, l’organisation cite les zones humides, les tourbières et les milieux aquatiques. Les zones humides sont à ce point menacées qu’elles font d’ailleurs l’objet d’une convention internationale. Elles sont célébrées tous les ans, en février, dans le cadre d’une journée mondiale dédiée. Le plus souvent, ces zones ont été asséchées ou drainées au profit de terres agricoles ou de constructions immobilières. Quand elles ne sont pas victimes de pollution, de l’artificialisation des berges et de la canalisation des cours d’eau. Des pressions humaines qui mettent en péril des fleurs rares. Comme le Séneçon des cours d’eau[2] ou les fascinantes plantes carnivores telles que la Drosera à feuilles rondes[3], dite “plante à glu”. Si la France venait à perdre ses zones humides et ses tourbières, il y a fort à parier qu’elle perdrait aussi ces incroyables plantes.
Belles des champs : les grandes oubliées
Il serait tentant de penser que la subtile flore des montagnes ou des côtes est tout particulièrement vulnérable, étant plus exposée au réchauffement climatique et aux aménagements touristiques. Cependant, cette vision romantique de la nature nous empêche parfois de nous intéresser à celle qui se trouve juste sous nos yeux. Il en va ainsi des fleurs dites “messicoles” qui poussent le long de nos champs. Annuelles ou vivaces, elles accompagnent les moissons, depuis des siècles, sans pour autant avoir été semées par l’homme. Depuis quelques années, elles sont pourtant en sursis, du fait de pratiques agricoles intensives. Ainsi, la Turgénie à larges feuilles ou la Nigelle des champs sont affectées par certaines pratiques culturales et l’usage excessif d’herbicides. De plus, l’abandon des cultures pastorales traditionnelles est à l’origine de la régression d’autres espèces. « L’Alsine sétacée ou la spiranthe d’été[4] […] subissent l’embroussaillement des prairies humides et des pelouses délaissées », constate ainsi l’UICN. Quand les pratiques traditionnelles extensives cèdent le pas à l’agriculture intensive, l’heure n’est décidément pas à la fête pour nos belles des prés.
Sentinelles de la flore
Heureusement, de nombreuses solutions germent et les acteurs territoriaux se mobilisent sur les plans locaux et nationaux. Les onze conservatoires botaniques du territoire national, œuvrent de manière concertée aux côtés d’autres autorités compétentes telles que le ministère de la Transition écologique et solidaire, les différentes collectivités territoriales et les parcs nationaux. À travers la réalisation d’inventaires, le développement d’espaces protégés ou encore la création de banques de semences, certaines populations éteintes renaissent, quand d’autres, sur le déclin, sont renforcées. De nombreux acteurs de terrain, en véritables sentinelles de la flore, s’engagent ainsi pour préserver nos semences sauvages locales. Puis reconstituer un couvert végétal le plus naturel possible, sur des sites impactés par le tourisme ou l’urbanisation.
Sauvée par l’inventaire !
« C’est grâce à la démarche d’inventaire, que ce soit sur une espèce donnée ou dans le cadre de nos inventaires systématiques, que l’on apprend à mieux connaître les populations des différentes espèces », explique Gérard Largier. Directeur du Conservatoire botanique national des Pyrénées et de Midi-Pyrénées. Et de retracer l’histoire de l’Aster des Pyrénées, la fameuse “étoile” des Pyrénées. Avec ses pétales mauves délicats, qui, à force d’être traquée par les passionnés, avait fini par être inscrite sur la liste rouge de l’UICN en 1995. « Alors que l’on pensait que l’Aster des Pyrénées ne peuplait que des gorges et ravins étroits de certains massifs, nous nous sommes aperçus que nous suivions une fausse piste du fait d’une mauvaise identification de ses milieux favorables par le passé. Un botaniste nous a emmenés sur une population tout à fait différente, située plus en altitude. Du fait de cette trouvaille, de nouvelles populations d’aster, jamais observées par le passé, ont ainsi pu être retrouvées. » Une sorte de happy end qui permet de mieux comprendre l’importance de nos conservatoires.
Comment agir ?
Comment protéger une espèce identifiée comme menacée par nos botanistes ? Jocelyne Cambecèdes nous aide à y voir plus clair dans le mille-feuille réglementaire : « Quand une plante est menacée, tout un arsenal d’outils se met en place. Une liste d’espèces est publiée par arrêté ministériel, ce qui peut permettre d’empêcher la destruction de populations données. En revanche, si la plante est menacée mais qu’elle n’est pas encore protégée par la loi, nous devons souvent privilégier les actions de sensibilisation. » Dans le cadre du Plan national d’actions en faveur des plantes messicoles, déployé sous la tutelle du ministère de l’Écologie, des actions de formation envers les futurs agriculteurs sont prévues. Pour favoriser l’implantation de bandes alliant plantes céréalières et fleurs messicoles en bordure de champs. Le plan préconise également d’éviter le travail profond du sol, l’enfouissement trop important des graines ne permettant pas à ces fleurs de germer.
Contribuer à la recherche
Du côté des citoyens, il s’agit aussi de sensibiliser aux bonnes pratiques de la cueillette sauvage (lire notre article sur le sujet), formellement interdite sur le territoire des parcs nationaux, des réserves naturelles et autres espaces protégés. Les sciences participatives sont également de plus en plus plébiscitées par les collectivités. Ainsi, dans les grandes aires urbaines pyrénéennes, les associations et leurs bénévoles ont la possibilité de participer à Urbaflore. Un programme visant à surveiller les populations menacées via un outil de cartographie en ligne. L’objectif est d’éviter la destruction de fleurs protégées ou menacées, lors des mises à jour des plans et documents d’aménagement. D’autres programmes existent, à l’échelle nationale, coordonnés par le réseau Tela Botanica. Que ce soit pour suivre la flore de nos rues, nos arbres ou encore les plantes messicoles. « Il s’agit d’impliquer un maximum d’acteurs sur le terrain et de pousser à la réalisation de davantage d’études d’impact en amont des projets de construction », explique ainsi Jocelyne Cambecèdes.
Choisir ses semences en conscience
Et au jardin, comment agir ? Pour favoriser les espèces sauvages et locales, l’Office français de la biodiversité propose la marque collective “Végétal local”. Elle porte sur des graines issues de la flore locale qui sont vendues chez les producteurs engagés dans cette démarche. L’enjeu est de barrer la route aux espèces exotiques qui se plaisent parfois si bien dans leur nouveau milieu naturel qu’elles mettent en péril les espèces autochtones. C’est le cas, par exemple, des bleuets sauvages. Ils ont aujourd’hui décliné, face à la concurrence des bleuets issus de sélections vendues dans les commerces, mais aussi de nombreuses autres espèces exotiques dont nous sommes friands. Alors, à l’heure de faire nos plantations, veillons plus que jamais à ne pas dénaturer nos fleurs sauvages. À vos graines, citoyen•ne•s !
Lexique botanique
Flore vasculaire : groupe réunissant les plantes possédant des vaisseaux conducteurs de sève. C’est-à-dire principalement l’ensemble des fougères et des plantes à graines ou à fleurs.
Flore messicole : catégorie de plantes accompagnant les cultures de céréales, depuis plusieurs siècles. Vivaces ou annuelles, elles survivent aux labours et profitent des soins culturaux.
Sources :
- UICN — Liste rouge des espèces menacées en France
- Inventaire national du patrimoine naturel
- Ministère de l’Ecologie — Plan national d’actions en faveur des plantes messicoles 2012–2017
- Tela Botanica
- www.vegetal-local.fr
Article issu du Numéro 2 – Été 2020 – “Observer”