Par Klervi Fustec.
L’été dernier, la France a fait face à une forte canicule. Elle c’est caractérisée par de faibles précipitations, des sols secs et un niveau bas des nappes souterraines et des cours d’eau. Cela s’est traduit par des restrictions quant à l’utilisation des ressources en eau, des inquiétudes parmi le monde agricole, des interrogations vis-à-vis de la protection de la biodiversité, des doutes concernant la production des centrales électriques et des interdictions pour les particuliers, telles que l’arrosage des plants à partir du réseau d’eau potable.
En effet, les ressources en eau ne sont pas infinies. On appelle “crise de l’eau” une situation où les ressources en eau ne permettent plus de répondre aux besoins des populations. Ce n’est pas uniquement une crise naturelle. C’est le résultat d’interactions entre l’élément naturel qu’est l’eau et les choix de société que nous faisons pour le gérer.
Une crise de l’eau est-elle la conséquence d’un rapport quantitatif entre eau disponible et population ?
Bien souvent, parlant de crises de l’eau, la comparaison est faite entre l’eau disponible et le nombre d’habitants d’un territoire. L’étude dessine alors des cartes présentant des indicateurs de rareté. Faisant apparaître des territoires en situation de pénurie (Moyen-Orient, Inde, Afrique du Nord, Chine…) et d’autres qui s’en sortent plutôt bien (Amérique latine, Canada, Europe…). En réalisant des projections basées sur l’augmentation de la population, il serait ainsi possible de déterminer les futures crises de l’eau.
Si le prisme “eau-population” est certes déterminant, l’explication des crises de l’eau uniquement à partir de ce prisme n’en reste pas moins problématique. Tout d’abord, l’identification des crises à l’échelle d’un pays pose problème car le contexte local peut être très différent au sein d’un même pays. Ainsi, au Canada, où le rapport entre eau et population est considéré comme bon, dans certaines réserves indiennes, l’accès à une eau de bonne qualité n’est pas toujours assuré. Ensuite, ce calcul ne tient pas compte du fait que les êtres humains n’utilisent pas l’eau de la même manière partout dans le monde. Par exemple, tout le monde ne possède pas de lave-vaisselle ou de machine à laver. Enfin, grâce à des changements d’habitudes au sein des sociétés, il reste possible qu’une augmentation de la population n’engendre pas une augmentation de la consommation d’eau. En France par exemple, la banalisation des toilettes sèches au détriment des toilettes classiques (alimentées à l’eau potable), permettrait de fortement diminuer les besoins en eau.
Une crise de l’eau est-elle uniquement due au climat ?
Il est généralement admis qu’un climat sec serait plus propice aux crises de l’eau qu’un climat humide. Pourtant, la canicule de l’été passé en France nous rappelle que même un pays au climat tempéré peut se retrouver confronté à ce genre de crise.
Il est certain que le climat détermine les ressources en eau présentes sur un territoire. Cependant, les facteurs sociaux, politiques et économiques doivent également être pris en compte. Le cas de Cochabamba en Colombie en 1999–2000, où a eu lieu une véritable crise de l’eau, souvent qualifiée de “guerre de l’eau”, en est la parfaite illustration. Cette situation n’était pas due à des facteurs climatiques mais à la privatisation des ressources en eau ayant conduit au doublement de son prix.
Les crises de l’eau ne sont pas inévitables : face aux déterminants climatiques, les êtres humains sont capables de réaliser des choix et de s’adapter. Ainsi, il est possible de choisir de développer une agriculture plus ou moins consommatrice en eau.
Faut-il produire plus d’eau pour éviter les pénuries ?
L’idée selon laquelle il faudrait toujours satisfaire la demande croissante en eau est répandue. Les populations semblent réclamer toujours plus d’eau, entre autre dans le cadre de régimes alimentaires de plus en plus carnés (l’élevage étant très consommateur d’eau).
Pour fournir plus d’eau douce aux populations, les pays développent des solutions techniques, souvent très consommatrices en énergie et induisant beaucoup de déchets. Le cas du dessalement de l’eau de mer, solution choisie par certains gouvernements (comme en Espagne), est emblématique de ce problème.
Répondre à la demande croissante en eau sans s’interroger sur les usages et les besoins légitimes pourrait donc s’apparenter à une fuite en avant.
Quels sont les besoins légitimes en eau ?
L’Organisation Mondiale de la Santé a estimé que le minimum nécessaire pour les besoins d’hydratation et d’hygiène était de trente à cinquante litres d’eau par jour par personne. Chaque Français en consomme quotidiennement environ cent cinquante tandis que dans certains endroits de l’Afrique sub-saharienne, la consommation peut être inférieure à vingt litres. Il y a donc de très grandes inégalités à l’échelle de la planète.
Cela pose la question des besoins légitimes en eau. Prendre une douche par jour, laver les vêtements après une utilisation, relèvent-t-ils de l’essentiel ou de l’accessoire ?
En France, lorsque nous prenons l’eau du robinet pour arroser nos fleurs ou nos légumes, c’est de l’eau potable que nous utilisons. Cette eau a été captée, traitée, acheminée… De nombreuses solutions existent pour réduire la consommation d’eau de son balcon ou de son jardin : récupérer l’eau de pluie, pailler, cultiver des plantes de saison…
Une crise de l’eau est donc la combinaison de facteurs naturels et de décisions politiques, de choix de société et de pratiques individuelles. Il n’y a pas de crises de l’eau en tant que telles mais bien des enjeux concernant la gestion, la pollution ou encore l’évolution des usages.
30% de la population mondiale n’a pas accès à des services d’alimentation domestique en eau potable
60% de la population mondiale ne dispose pas de services d’assainissement gérés en toute sécurité
30 à 50 litres d’eau par jour par personne : minimum nécessaire pour les besoins d’hydratation et d’hygiène selon l’OMS
150 litres : consommation moyenne quotidienne d’un Français
Sources : OMS et UNICEF, 2017.
Article issu du Numéro 2 – Été 2020 – “Observer”