Enquête : le business des fleurs coupées

Une enquête sur la pro­duc­tion de fleurs français­es : d’où vien­nent les fleurs de nos bou­quets ? Et com­ment con­som­mer des fleurs de manière plus respon­s­able ?

par | 30 janvier 2023

Offrir un bou­quet de fleurs nous donne sou­vent l’impression de faire un cadeau éco­lo. Nos ros­es, lys et autres orchidées ont pour­tant un impact majori­taire­ment négatif sur l’environnement. Enquête sur les dérives du busi­ness des fleurs et décou­verte de fleuristes qui s’engagent pour la planète.

Enquête par Ali­cia Muñoz

Un bilan pas très rose

On ne le sait pas for­cé­ment quand on achète un joli bou­quet chez le fleuriste ou à la jar­diner­ie du coin, mais le tableau est loin d’être rose pour nos fleurs coupées. Majori­taire­ment importées de pays étrangers, Kenya, Éthiopie et Équa­teur en tête, les fleurs sont sou­vent cul­tivées de manière inten­sive, à des échelles indus­trielles nuis­i­bles pour l’environnement. Tran­si­tant pour leur grande majorité par la Hol­lande, puis par notre célèbre marché de Rungis, env­i­ron 85 % des fleurs coupées ven­dues en France provi­en­nent de l’étranger. Au bilan car­bone de leur voy­age en avion ou en camion réfrigéré, s’ajoute l’utilisation pen­dant leur cul­ture de cer­tains pes­ti­cides inter­dits en Europe, comme le DDT : un insec­ti­cide organochloré qui per­siste très longtemps dans l’environnement et s’accumule dans les tis­sus ani­maux et humains. Des modes de cul­ture peu con­trôlés qui lais­sent à penser qu’acheter des fleurs coupées pour­rait non seule­ment être préju­di­cia­ble pour l’environnement mais aus­si pour notre san­té. C’est ce qu’a révélé en 2017 une enquête menée par le mag­a­zine 60 mil­lions de con­som­ma­teurs. Les experts de l’association ont ain­si analysé les bou­quets de fleurs ven­dus par dix grandes enseignes. Résul­tat : ils con­te­naient tous des sub­stances chim­iques provenant de fongi­cides ou d’insecticides… Au total, quar­ante-neuf molécules dif­férentes ont été iden­ti­fiées par l’association qui a pub­lié, en ligne, les résul­tats de son enquête.

env­i­ron 85 % des fleurs coupées ven­dues en France provi­en­nent de l’étranger

Ce bilan déjà inquié­tant est aggravé par un lourd bilan humain. Ces dernières années, les ONG ont tiré la son­nette d’alarme sur les con­di­tions de tra­vail des cueilleurs de fleurs, dans les pays en développe­ment ou sous-dévelop­pés. En plus d’être exposés à de nom­breux pro­duits chim­iques pour un salaire faible, 75 % des tra­vailleurs hor­ti­coles n’auraient pas d’emploi fixe.

@Fleurs d’i­ci

Consommer les fleurs en conscience 

Mais alors, les fleurs européennes seraient-elles plus vertueuses que les fleurs de pays loin­tains ? « Pas for­cé­ment », répond Car­ole Batail­lard, chargée de com­mu­ni­ca­tion au sein de l’association Fleurs de Cocagne. « La dépense énergé­tique engen­drée par l’achat d’un bou­quet de ros­es hol­landais­es dépasse celle d’un bou­quet de ros­es du Kenya », affirme cette salariée, con­va­in­cue de la néces­sité de mieux informer le con­som­ma­teur. Pour affirmer cela, elle s’appuie sur une étude de l’Université de Cran­field qui mon­tre le bilan désas­treux des dépens­es énergé­tiques liées à la cul­ture sous serre des fleurs hol­landais­es. Des fleurs util­isant d’autant plus d’énergie grise1 que le cli­mat hol­landais est inadap­té à la cul­ture de ces var­iétés tout au long de l’année, con­traire­ment à celui du Kenya. 

Alors com­ment agir ? La plus effi­cace des solu­tions serait de réduire la quan­tité de fleurs que nous offrons. Ce n’est pas pour rien que les indus­triels de la fleur con­sta­tent, depuis une dizaine d’années, une baisse des ventes des fleurs coupées par­mi les jeunes généra­tions, plus respon­s­ables dans leurs achats. En 2018, les ventes de fleurs coupées ont con­nu une baisse de 7,2 % en vol­ume et cela ne devrait pas s’améliorer pour la fil­ière, compte tenu de l’intérêt crois­sant des jeunes pour la philoso­phie zéro déchet.

Comme pour tous les biens de con­som­ma­tion, il est cepen­dant pos­si­ble d’acheter de manière plus respon­s­able en veil­lant, par exem­ple, à choisir des fleurs locales et de sai­son : des pivoines en juin ou des amaryl­lis et des tulipes en févri­er, plutôt que des ros­es à tout va, ou encore, en favorisant les petits fleuristes et marchés locaux. Au con­traire, les grandes enseignes sont d’autant plus à fuir qu’il n’existe, pour l’heure, aucune oblig­a­tion d’étiquetage sur la prove­nance ou le pays de pro­duc­tion des bou­quets. 

Des labels ori­en­tent cepen­dant le con­som­ma­teur vers une fleur plus éthique. En plus du label “AB” européen, plusieurs labels français ont fait leur appari­tion au ray­on fleurs. C’est le cas de “Fleurs de France” et de “Plante Bleue”, deux cer­ti­fi­ca­tions garan­tis­sant une pro­duc­tion française, ou encore “Fairtrade/Max Have­laar” pour des fleurs issues du com­merce équitable. Le label “Fleurs de France”, mis en place en 2014 par le min­istre de l’Agriculture, cer­ti­fie quant à lui que les fleurs achetées ont été pro­duites en France, mais aus­si, depuis 2017, qu’elles sont issues d’une agri­cul­ture raison­née. Acheter un bou­quet avec cette men­tion con­tribue ain­si au main­tien de l’activité économique de la fil­ière nationale, dans une dynamique durable. 

“75% des tra­vailleurs hor­ti­coles n’auraient pas d’emploi fixe”

@Fleurs d’i­ci

Quand les fleuristes s’engagent 

De plus en plus de fleuristes ten­tent une approche plus éthique du marché de la fleur. Ain­si, ceux qui souhait­ent offrir des fleurs à dis­tance apprécieront la mar­que Fleurs d’Ici. Créé en 2017 par Hort­ense Harang et Chloé Rossig­nol, deux pas­sion­nées de fleurs sauvages et de jardins à l’anglaise, Fleurs d’ici a, dès ses débuts, eu l’ambition de ne pro­pos­er que des fleurs locales et de sai­son. C’est pourquoi le client qui se trou­ve à Lille n’aura pas le même bou­quet que celui qui habite à Mar­seille ou à Lyon. D’après Marthe Sanders, chargée de la com­mu­ni­ca­tion de la mar­que, « Fleurs d’ici a été la pre­mière mar­que à pro­pos­er des fleurs 100 % Made in France ». Con­statant le déclin de la fil­ière française, ses créa­tri­ces ont ain­si mis un point d’honneur à tra­vailler avec des pro­duc­teurs hor­ti­coles et des fleuristes de prox­im­ité, le pôle R & D de l’entreprise priv­ilé­giant par ailleurs les fleuristes engagés dans une agri­cul­ture raison­née ou exten­sive. 

Autre ini­tia­tive qui mérite d’être citée : le Réseau des Jardins de Cocagne, une asso­ci­a­tion nationale à l’origine d’un mail­lage d’exploitations maraîchères biologiques à voca­tion sociale. Depuis 2014, ce réseau inclut aus­si les Fleurs de Cocagne, chantier d’insertion prin­ci­pale­ment dédié aux femmes en sit­u­a­tion pré­caire. L’association pro­duit ses fleurs en bio, sur l’exploitation d’Avrainville et béné­fi­cie du label “Eco­cert”. Elle priv­ilégie la dis­tri­b­u­tion de ses bou­quets et com­po­si­tions flo­rales en cir­cuits courts, pour des événe­ments tels que des mariages, anniver­saires, etc. Les fran­ciliens ont égale­ment la pos­si­bil­ité de les acheter directe­ment sur place ou via le réseau La Ruche qui dit oui. Pour rester en cohérence avec les valeurs qu’elle revendique, l’association, qui ne dis­pose pas de camion réfrigéré, ne livre qu’en Ile-de-France. « Nous ori­en­tons les autres mét­ro­pol­i­tains vers le Col­lec­tif de la fleur française, asso­ci­a­tion à laque­lle nous adhérons et qui a dévelop­pé un annu­aire de fleuristes engagés », explique Car­ole Batail­lard, qui incite régulière­ment les con­som­ma­teurs « à être plus con­scients dans leurs achats ». 

Et la cueillette, alors ?

Les plus habiles au jardin peu­vent égale­ment con­fec­tion­ner leurs pro­pres com­po­si­tions végé­tales. En ce début de print­emps, il est pos­si­ble de ramass­er soi-même des fleurs sauvages, à con­di­tion de respecter cer­taines règles. Il est ain­si recom­mandé de laiss­er au moins les deux tiers des fleurs sur place ou encore de couper la tige avec un séca­teur, afin de ne pas arracher les pré­cieuses racines, et bien enten­du, assurez-vous au préal­able que les espèces cueil­lies ne sont pas pro­tégées. Pour cela, con­sul­tez des appli­ca­tions telles que Plant­Net ou tout sim­ple­ment un guide papi­er, comme le fai­saient nos par­ents.

1L’énergie grise est l’énergie néces­saire à la pro­duc­tion et à la vente des fleurs (fonc­tion­nement des machines, chauffage de la serre, livrai­son par avion). 


Arti­cle issu du Numéro 5 – Print­emps 2021 “Col­or­er”

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