Offrir un bouquet de fleurs nous donne souvent l’impression de faire un cadeau écolo. Nos roses, lys et autres orchidées ont pourtant un impact majoritairement négatif sur l’environnement. Enquête sur les dérives du business des fleurs et découverte de fleuristes qui s’engagent pour la planète.
Enquête par Alicia Muñoz
Un bilan pas très rose
On ne le sait pas forcément quand on achète un joli bouquet chez le fleuriste ou à la jardinerie du coin, mais le tableau est loin d’être rose pour nos fleurs coupées. Majoritairement importées de pays étrangers, Kenya, Éthiopie et Équateur en tête, les fleurs sont souvent cultivées de manière intensive, à des échelles industrielles nuisibles pour l’environnement. Transitant pour leur grande majorité par la Hollande, puis par notre célèbre marché de Rungis, environ 85 % des fleurs coupées vendues en France proviennent de l’étranger. Au bilan carbone de leur voyage en avion ou en camion réfrigéré, s’ajoute l’utilisation pendant leur culture de certains pesticides interdits en Europe, comme le DDT : un insecticide organochloré qui persiste très longtemps dans l’environnement et s’accumule dans les tissus animaux et humains. Des modes de culture peu contrôlés qui laissent à penser qu’acheter des fleurs coupées pourrait non seulement être préjudiciable pour l’environnement mais aussi pour notre santé. C’est ce qu’a révélé en 2017 une enquête menée par le magazine 60 millions de consommateurs. Les experts de l’association ont ainsi analysé les bouquets de fleurs vendus par dix grandes enseignes. Résultat : ils contenaient tous des substances chimiques provenant de fongicides ou d’insecticides… Au total, quarante-neuf molécules différentes ont été identifiées par l’association qui a publié, en ligne, les résultats de son enquête.
“environ 85 % des fleurs coupées vendues en France proviennent de l’étranger”
Ce bilan déjà inquiétant est aggravé par un lourd bilan humain. Ces dernières années, les ONG ont tiré la sonnette d’alarme sur les conditions de travail des cueilleurs de fleurs, dans les pays en développement ou sous-développés. En plus d’être exposés à de nombreux produits chimiques pour un salaire faible, 75 % des travailleurs horticoles n’auraient pas d’emploi fixe.
Consommer les fleurs en conscience
Mais alors, les fleurs européennes seraient-elles plus vertueuses que les fleurs de pays lointains ? « Pas forcément », répond Carole Bataillard, chargée de communication au sein de l’association Fleurs de Cocagne. « La dépense énergétique engendrée par l’achat d’un bouquet de roses hollandaises dépasse celle d’un bouquet de roses du Kenya », affirme cette salariée, convaincue de la nécessité de mieux informer le consommateur. Pour affirmer cela, elle s’appuie sur une étude de l’Université de Cranfield qui montre le bilan désastreux des dépenses énergétiques liées à la culture sous serre des fleurs hollandaises. Des fleurs utilisant d’autant plus d’énergie grise1 que le climat hollandais est inadapté à la culture de ces variétés tout au long de l’année, contrairement à celui du Kenya.
Alors comment agir ? La plus efficace des solutions serait de réduire la quantité de fleurs que nous offrons. Ce n’est pas pour rien que les industriels de la fleur constatent, depuis une dizaine d’années, une baisse des ventes des fleurs coupées parmi les jeunes générations, plus responsables dans leurs achats. En 2018, les ventes de fleurs coupées ont connu une baisse de 7,2 % en volume et cela ne devrait pas s’améliorer pour la filière, compte tenu de l’intérêt croissant des jeunes pour la philosophie zéro déchet.
Comme pour tous les biens de consommation, il est cependant possible d’acheter de manière plus responsable en veillant, par exemple, à choisir des fleurs locales et de saison : des pivoines en juin ou des amaryllis et des tulipes en février, plutôt que des roses à tout va, ou encore, en favorisant les petits fleuristes et marchés locaux. Au contraire, les grandes enseignes sont d’autant plus à fuir qu’il n’existe, pour l’heure, aucune obligation d’étiquetage sur la provenance ou le pays de production des bouquets.
Des labels orientent cependant le consommateur vers une fleur plus éthique. En plus du label “AB” européen, plusieurs labels français ont fait leur apparition au rayon fleurs. C’est le cas de “Fleurs de France” et de “Plante Bleue”, deux certifications garantissant une production française, ou encore “Fairtrade/Max Havelaar” pour des fleurs issues du commerce équitable. Le label “Fleurs de France”, mis en place en 2014 par le ministre de l’Agriculture, certifie quant à lui que les fleurs achetées ont été produites en France, mais aussi, depuis 2017, qu’elles sont issues d’une agriculture raisonnée. Acheter un bouquet avec cette mention contribue ainsi au maintien de l’activité économique de la filière nationale, dans une dynamique durable.
“75% des travailleurs horticoles n’auraient pas d’emploi fixe”
Quand les fleuristes s’engagent
De plus en plus de fleuristes tentent une approche plus éthique du marché de la fleur. Ainsi, ceux qui souhaitent offrir des fleurs à distance apprécieront la marque Fleurs d’Ici. Créé en 2017 par Hortense Harang et Chloé Rossignol, deux passionnées de fleurs sauvages et de jardins à l’anglaise, Fleurs d’ici a, dès ses débuts, eu l’ambition de ne proposer que des fleurs locales et de saison. C’est pourquoi le client qui se trouve à Lille n’aura pas le même bouquet que celui qui habite à Marseille ou à Lyon. D’après Marthe Sanders, chargée de la communication de la marque, « Fleurs d’ici a été la première marque à proposer des fleurs 100 % Made in France ». Constatant le déclin de la filière française, ses créatrices ont ainsi mis un point d’honneur à travailler avec des producteurs horticoles et des fleuristes de proximité, le pôle R & D de l’entreprise privilégiant par ailleurs les fleuristes engagés dans une agriculture raisonnée ou extensive.
Autre initiative qui mérite d’être citée : le Réseau des Jardins de Cocagne, une association nationale à l’origine d’un maillage d’exploitations maraîchères biologiques à vocation sociale. Depuis 2014, ce réseau inclut aussi les Fleurs de Cocagne, chantier d’insertion principalement dédié aux femmes en situation précaire. L’association produit ses fleurs en bio, sur l’exploitation d’Avrainville et bénéficie du label “Ecocert”. Elle privilégie la distribution de ses bouquets et compositions florales en circuits courts, pour des événements tels que des mariages, anniversaires, etc. Les franciliens ont également la possibilité de les acheter directement sur place ou via le réseau La Ruche qui dit oui. Pour rester en cohérence avec les valeurs qu’elle revendique, l’association, qui ne dispose pas de camion réfrigéré, ne livre qu’en Ile-de-France. « Nous orientons les autres métropolitains vers le Collectif de la fleur française, association à laquelle nous adhérons et qui a développé un annuaire de fleuristes engagés », explique Carole Bataillard, qui incite régulièrement les consommateurs « à être plus conscients dans leurs achats ».
Et la cueillette, alors ?
Les plus habiles au jardin peuvent également confectionner leurs propres compositions végétales. En ce début de printemps, il est possible de ramasser soi-même des fleurs sauvages, à condition de respecter certaines règles. Il est ainsi recommandé de laisser au moins les deux tiers des fleurs sur place ou encore de couper la tige avec un sécateur, afin de ne pas arracher les précieuses racines, et bien entendu, assurez-vous au préalable que les espèces cueillies ne sont pas protégées. Pour cela, consultez des applications telles que PlantNet ou tout simplement un guide papier, comme le faisaient nos parents.
1L’énergie grise est l’énergie nécessaire à la production et à la vente des fleurs (fonctionnement des machines, chauffage de la serre, livraison par avion).
Sources :
www.consoglobe.com/guide-bien-choisir-ses-fleurs-cg
www.reseaucocagne.asso.fr/fleurs-cocagne
www.60millions-mag.com/2017/02/10/des-roses-la-saint-valentin-mais-pas-des-pesticides-10960
www.liberation.fr/france/2018/02/14/fleurs-coupees-la-face-sombre-des-bouquets_1629320
Article issu du Numéro 5 – Printemps 2021 “Colorer”